C'est un esprit qu'on nomme catacombe, aux rouages intelligents et logiques mais aux pattes de ferraille fait. Une clé qu'on pense joute est logée juste entre sa cinquième et sa sixième vertèbre et, de ce fait, il suffit de trois tours pour que l'espèce de bizarrerie s'agite. Mais oubliez de la remonter, et ce bidule sans nom, ce machin, cette bricole, restera un objet comme les autres.
Pof, envolée la belle âme.
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Depuis le court moment où le réveil sonna, jusqu'à l'attente interminable d'un appel -plus petit bip possible qui lui prodiguerait sa dose de soulagement- ce quantième fut l'archétype d'une très mauvaise journée, et ce, même maintenant. Nella n'avait pas voulu perdre son temps, mais ce fut très vite ce dernier qui lui coupa l'herbe sous pied...et au final...
Eh bien, au final, la voilà en train de tourner en rond au centre de son petit appartement, dans un pur mimétisme de l'aliénation. Fait indéniable, rebutant même, de constater qu'elle se voyait prise au dépourvue lorsque la mafia lui lâchait un peu la bride, lui offrait du temps libre'.
Et c'est sur ce cadeau si généreusement offert qu'elle en avait oublié, pour l'occasion, de s'armer de patience. Heureusement que le calme de Nella dépassait de loin les capacités moyennes humaines. (oui, heureusement) Sa tourmente se joue donc sous couvert, pour ne laisser en surface qu'un sacré syndrome de l'ours et ce regard statique..si caractéristique d'un esprit terre à terre, incapable de s'adapter aux imprévus. Elle est un peu réglée, présentement, comme un robot dont la fonction première -mais aussi primaire et étriquée- n'existerait plus et qui, alors, irait foncer contre les murs pour faire du grabuge dans le seul but de faire au moins 'quelque chose'
Et c'est pathétique, parce qu'il y a tant de choses plus rentables à essayer, au final.
Oui mais voilà, n'est pas Nella qui veut.
Encore un pas rageur, quasi un grand écart puis..Nella dégage son poignet qu'elle porte à vue d'oeil et regarde l'heure sur sa fine montre transparente.
Le cadran plat lui indique quinze heures et quart. En gros, une sacrée promesse de pétage de plomb.
Soupir, long et arasant soupir qu'elle accroche aux bords des lèvres..avant de s'arrêter enfin de marcher. Elle lorgne en direction du petit frigo blanc dont elle sait qu'il lui manque du lait, puis, vers la fenêtre au paysage fadasse.
Et là, y'a comme une petite voix au fond de la calotte qui lui adresse la parole..
Dis, Nella, et si tu sortais un peu, ne serait-ce que pour faire les courses ?La mine farouche, Nella ne quitte pas l'unique et vétuste vitre des yeux, partagée par un fielleux dilemme inapte quand il s'agit de convenir à la petite coque fragile et automatisée qui lui sert de cervelle. Ultime froncement de sourcil soudoyé par une mimique trop longtemps entretenue, et puis, assez subitement, elle s'active. Elle chipe sa sacoche grise posée sur son matelas, s'accapare de son habituel manteau sombre à capuche, vérifie que son appartement est bien gardé durant son absence ( principe du "sécurité oblige" 'voyez?)..et
on est parti.Dehors c'est du froid, dehors ce sont des résidences jumelles et des escaliers glissants. L'endroit pourrait être beau si seulement il possédait encore une âme. Mais ici, il s'agit d'un lieu où la vétusté n'est plus à prendre à la légère, hélas. Du moins, hélas pour les autres. Car pour Nella, ce coin est très en accord avec sa personnalité rigide.. Et c'est la capuche déjà rabattue sur sa tête qu'elle quitte la blanche résidence, étrange panthéon du monde corrompu duquel rien ne transparait mais où beaucoup savent et se taisent..
Notre protagoniste se hâte donc et, chose peu banale, elle lève son nez au ciel. Ce dernier est méchamment bondé par une masse noire, bedonnante. Madame météo est d'humeur fracassante aujourd'hui....raison suffisante pour accélérer davantage le pas -sachant que, météo ou pas, elle a toujours adopté une allure rapide, cela la rend quasi-pressée pour le coup. Ca peut paraître absurde mais, Nella a également peur, comme tout le monde, de tomber malade.
Pourtant, si elle avance vite, elle n'en oublie pas pour autant, en vraie paranoïaque, d'instaurer ses habituelles manies : c'est à dire zieutages de cabines, coups d'oeils en direction des zones sombres, le fait de préférer suivre la foule plutôt que de rester en retrait...il faut dire qu' il y a de ces manières d'agir qui jamais ne se perdent.
Aux aguets, les mains dans les poches, à mesure que l'orage gronde et que la pluie se prépare à chuter, elle compte les pas et les secondes qui s'écoulent...jusqu'à, enfin, arriver à bon port. Le centre commercial. Elle n'y allait que très rarement, privilégiant les petits supermarchés qui -malgré la situation politique du pays ainsi que des années de mondialisation- avaient gardé le charme typique d'une Italie un chouïa conservatrice. Mais alors, c'est à se poser la question, pourquoi être venue ? Oui, pourquoi.
Avec une timidité feinte, elle ôte lentement sa capuche et, penaude, entre à l'intérieur du bâtiment. Pas mal de personnes se tamponnent, de ces personnes assez chiquées, telles une espèce haute gamme tandis que elle, sombre fille aux cheveux un peu trop longs, elle trace sans porter son attention sur une seule babiole, un seul bibelot décoratif..et puis il y a les gamins aussi. Tifs en bataille, sur ressors et émerveillés pour un rien, qui se pressent vers la salle de jeux virtuels.
Finalement, un magasin de denrées alimentaires. Son pas est plus tranquille lorsqu'elle parcoure les étalages de sachets en tout genre, d'une nourriture qui, si elle semblait être alléchante, n'offrait pas de très grandes valeurs nutritionnelles. Elle se surprend d'ailleurs, aux abords d'un rayon d'étranges confiseries, à regarder les marchandises de plus près. Au milieu de tout cela, elle est comme une étrangère qui découvre les produits locaux, comme une femme venue d'un autre monde..trop fantoche pour y avoir apporté une attention quelconque par le passé.
L'ennui pousse à faire de ces bizarreries, parfois.
Après avoir presque oubliée ce pourquoi elle était venue, le rayon où sont entreposées les briques de lait le lui rappelle très vite lorsqu'elle tombe dessus par hasard. La raison de son oubli, c'est que , cette jeune femme qui se lovait dans le rôle d'une Hitman consciencieuse, avait relâché sa vigilance. (preuve tout de même de son petit côté d'humanité). Elle n'aurait pas dû. Au moment même où elle attrape une brique de lait entre ses mains, elle sent soudain une pression sur son épaule..apparemment un simple accrochage avec une tiers personne; mais qui lui fait l'effet d'un coup d'électricité. Elle s'affole pendant un court moment, moment de panique : tel un mauvais flash back. Et c'est assez pour que , en se retournant, le lait tombe aux pieds de l'inconnu et , une fois au sol, une fois ouvert, bave sur leur pantalon : à tous les deux.